Écrit par Jessica Adams (Nature Nerding)
Les hivers québécois peuvent être difficiles pour nous, les humains. Que nous ayons choisi de vivre ici ou que nous nous soyons retrouvés ici pour des raisons indépendantes de notre volonté, les jours plus courts, la neige et le froid nous affectent tous et toutes à un certain moment. Heureusement, ces facteurs nous empêchent rarement de combler nos besoins de base. Lorsque nécessaire, nous pouvons nous réfugier dans notre maison ou refaire nos provisions en faisant un simple saut à l’épicerie. Bien qu’il ne soit pas toujours facile de s’épanouir l’hiver, survivre ne pose que rarement problème grâce au confort dont beaucoup d’entre nous bénéficient.
Bien entendu, les espèces sauvages ne bénéficient pas du même confort que les humains. C’est pourquoi les plantes, les animaux et les champignons ont recours à des stratégies (qu’on appelle aussi adaptations) pour assurer leur survie jusqu’à la prochaine saison de reproduction. Le groupe des oiseaux emploie toutes sortes de stratégies fascinantes pour survivre à nos hivers rigoureux. Certains migrent sur de longues distances; d’autres vont juste assez loin pour être un peu plus confortables l’hiver; un bon nombre restent sur place et endurent l’hiver; et certains migrent délibérément vers notre région pour l’hiver.
Étonnamment, de nombreux oiseaux peuvent supporter des températures assez froides, même le supposément fragile colibri! Pourquoi alors opter pour une stratégie plutôt qu’une autre? En fait, il ne s’agit pas tant de braver la température que de garder suffisamment d’énergie pour rester au chaud malgré le froid. Dans la nature, l’énergie est la plus grande des ressources. En consommant de la nourriture, on gagne de l’énergie, mais en vaquant à ses occupations quotidiennes, comme trouver de la nourriture et voler, on en dépense. Tout comme nous budgétons notre argent, les animaux sauvages budgètent leur énergie pour ne pas se « retrouver dans le rouge » et augmenter leurs chances de survie.
En hiver, le besoin constant de rester au chaud a un impact considérable sur le budget d’énergie des animaux sauvages. Ainsi, les espèces d’oiseaux dont les sources de nourriture ne sont pas aussi facilement disponibles en hiver, voire pas du tout, auront du mal à survivre si elles ne trouvent pas de manières de compenser ce manque de ressources, par exemple en changeant de régime alimentaire ou en migrant vers des territoires plus généreux. Voilà ce qui explique pourquoi la diversité des espèces d’oiseaux que nous observons dans la forêt ou à la mangeoire change d’une saison à l’autre.
Alors qui va où, et pourquoi? Voici quatre espèces que vous connaissez peut-être et qui illustrent à quel point le monde des oiseaux est merveilleusement diversifié sur le plan de l’adaptation à l’environnement:
Colibri à gorge rubis
(Ruby-Throated Hummingbird)
Archilochus colubris
Malgré sa taille minuscule, le colibri à gorge rubis entreprend chaque année une migration spectaculaire pour aller passer l’hiver en Amérique centrale, ce qui fait de lui un grand migrateur. Dépendant du nectar des fleurs et complétant occasionnellement son alimentation par de petits insectes, il se retrouve avec de moins en moins d’options à mesure que l’automne s’installe. Ainsi, si le colibri peut effectivement survivre à des températures froides (dans la limite du raisonnable), il est limité dans sa capacité à consommer suffisamment de ressources pour compenser la perte d’énergie nécessaire pour se garder au chaud.
Merle d’Amérique
(American Robin)
Turdus migratorius
Le merle d’Amérique, que l’on associe souvent à l’arrivée du printemps, est considéré comme un oiseau résident ou un petit migrateur. Certains pensent qu’il prend le large et migre vers le sud comme de nombreux autres passereaux, mais en réalité, ses mouvements saisonniers dépendent en fait de la disponibilité de la nourriture et de toute condition environnementale pouvant affecter sa capacité à chercher de la nourriture.
En été, le merle se nourrit d’insectes et autres invertébrés ainsi que d’une variété de fruits tels la cerise de Virginie, le fruit du cornouiller et les baies de genévrier. Pendant les mois les plus froids, lorsque les invertébrés se font rares, le merle migre sur une courte distance à la recherche de plus de ressources ou bien il reste dans les environs s’il y a suffisamment de baies disponibles sur son territoire d’hiver. Contrairement aux espèces qui migrent sur de plus grandes distances, le merle se déplace juste assez loin pour trouver plus de ressources et ne suit pas nécessairement un itinéraire direct, mais vagabonde plutôt d’un endroit à l’autre à la recherche de fruits. Il peut également être incité à se déplacer en raison de conditions météorologiques qui rendent la recherche de fruits trop difficile, comme une tempête de neige.
Mésange à tête noire
(Black-Capped Chickadee)
Pœcile atricapillus
La mésange à tête noire nous fait l’honneur de son agréable présence toute l’année et est donc considérée comme un résident. Les espèces résidentes sont généralement bien équipées pour passer l’hiver et la modeste mésange possède certaines des techniques d’adaptation les plus intéressantes pour l’aider à survivre.
Afin de s’assurer un apport énergétique suffisant, la mésange va modifier son régime alimentaire et son mode de recherche de nourriture. En été, son régime se compose de 80 à 90 % d’insectes, et ce pourcentage tombe à environ 50 % en hiver, lorsque les baies et les graines sont plus facilement disponibles. De plus, en cherchant de la nourriture avec d’autres oiseaux, les mésanges augmentent leurs chances de trouver des ressources, car elles couvrent plus de terrain et communiquent avec le reste du groupe lorsqu’elles tombent sur une source de nourriture. Elles se constitueront également des réserves sur lesquelles elles pourront compter lorsque les autres sources de nourriture viendront à manquer. À l’automne, la mésange travaille d’arrache-pied pour stocker de la nourriture partout sur son territoire. Elle cache des centaines de graines dans des trous d’arbres, sous des morceaux d’écorce et dans toutes sortes d’autres petits endroits avec l’intention d’y revenir en cas de besoin. Elle se rappelle toutes ses cachettes grâce à une adaptation physiologique fascinante. Chaque automne, la partie du cerveau de la mésange responsable de la mémoire spatiale croît d’environ 30 % pour l’aider à se rappeler où elle a caché sa nourriture. C’est le merveilleux monde de la nature!
Dans la stratégie de survie de la mésange, limiter l’énergie dépensée pour se réchauffer est tout aussi important que de se procurer suffisamment de nourriture. Pour gérer le froid, la mésange gonfle régulièrement ses plumes, ce qui augmente la couche d’isolation autour de son corps et l’aide à maintenir sa température interne (ce qui lui donne un air dodu particulièrement adorable). Lors des nuits très froides, elle trouve un abri où se percher et entre dans un état d’hypothermie contrôlée, abaissant sa température corporelle de manière drastique (d’environ 9 °C) afin de réduire le taux de perte de chaleur (et sa consommation d’énergie) pendant la nuit. La mésange se sert aussi des frissons pour se réchauffer, mais ceux-ci peuvent être si intenses qu’ils épuiseront la plupart de ses réserves de graisse, l’obligeant à les renouveler le jour suivant.
Sizerin flammé
(Common Redpoll)
Acanthis flammea
Le sizerin flammé se retrouvera dans notre coin de pays en hiver (ou plus au sud) en fonction de la croissance de sa population et de sa capacité à se nourrir, et c’est pour cette raison qu’on le considère comme un migrateur éruptif. Un peu comme le merle, il adapte ses mouvements hivernaux d’une année à l’autre en fonction de la disponibilité de la nourriture. Le sizerin flammé habite la toundra arctique et la forêt boréale, mais s’il connaît une augmentation de population une saison suivie d’une pénurie de nourriture la saison suivante, il migrera plus au sud. Cela semble se produire tous les deux ans environ. Lorsqu’il passe l’hiver dans notre région, le sizerin cherche des graines de bouleau et d’aulne. On sait également qu’il visite les mangeoires à oiseaux qui contiennent des graines de millet, de chardon et de nyjer.
Originaire d’un environnement beaucoup plus hostile, le sizerin connaît bien le froid et a développé des mécanismes d’adaptation pour l’aider à affronter les conditions extrêmes. Pour réduire le temps passé à s’exposer aux éléments lorsqu’il cherche de la nourriture, le sizerin se sert d’une poche dans sa gorge (diverticule) pour emmagasiner des graines jusqu’à ce qu’il trouve un endroit plus abrité pour les manger. Cette particularité maximise sa capacité à amasser des graines dans des conditions pénibles (et énergivores). Lors des nuits particulièrement glaciales, le sizerin se sert des propriétés isolantes de la neige pour, croyez-le ou non, percer la neige avec sa tête puis creuser un tunnel d’environ un pied pour s’y reposer pendant la nuit. Cette stratégie efficace est aussi utilisée par d’autres oiseaux, comme la gélinotte huppée.
Le mois de janvier ne représente pas la même chose pour tout le monde. Que vous aimiez l’hiver, que vous le détestiez ou que vous arriviez simplement à le tolérer, le fait de vous intéresser à la nature peut vous offrir une nouvelle perspective appréciable (et parfois bien nécessaire). Les espèces dont nous venons de parler ne sont que quelques exemples de toute la magie qui opère. Prendre le temps de laisser aller votre curiosité et de prêter attention à ce qui vous entoure vous inspirera presque toujours de la joie et de l’émerveillement. Sur ce, quelle que soit votre humeur hivernale, je vous laisse avec quelques invitations :
Lorsque vous vous blottissez dans votre lit chaud le soir, ayez une pensée pour le sizerin flammé, qui dort très probablement sous la neige, ou pour la mésange à tête noire, qui se glisse lentement dans un état d’hypothermie contrôlée, les plumes ébouriffées.
Lorsque vous ne trouvez pas ce que vous cherchez à l’épicerie et devez aller ailleurs, pensez au merle d’Amérique qui doit parcourir des centaines de kilomètres s’il n’y a soudainement plus assez de fruits disponibles.
Lorsque vous avez l’impression que l’hiver n’en finit plus, rappelez-vous le colibri à gorge rubis qui sera de retour sans faute au printemps prochain, en même temps que les fleurs et les chauds rayons du soleil.
Et laissez-vous emporter par l’émerveillement.
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Références
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